vendredi 26 juillet 2013

Piège Nuptial

Douglas Kennedy (Etats-Unis)

Ma lecture:

De nouveau bluffé par Mr Kennedy! Comment résister à ce récit époustouflant de cruauté, de cynisme pur et dur. Heureusement que l'humour (noir) est présent à chaque page car je n'aimerais vraiment pas être à la place de ce pauvre touriste américain perdu dans le bush australien entouré de fous furieux.

Ce n'est pas une histoire d'amour (quoique c'est vraiment dans ce sens que démarre l'histoire); une belle rencontre improbable vu les lieux qui se transforme assez vite en kidnapping. Le mariage forcé à l'envers en sorte mais traité de façon humoristique. Ici pas d'évocation politico-religieuse, on est dans la pure comédie (noire quand même).

Ce que j'adore par-dessous tout, c'est le style de Douglas Kennedy. Avec lui, on se met très vite dans la peau du héros (!) et on vit chacun de ses déboires avec angoisse et intensité. Et ici, la souffrance est particulièrement cruelle, à petites doses de surcroît. L'épisode de la remise à neuf de la camionnette (un grand moment) et ce qui suivra est extraordinaire de cruauté.

Ce roman (le premier écrit par Kennedy sous le titre de Cul-de-Sac), est à dévorer de toute urgence. Comme quoi, vendre beaucoup de romans de qualité est possible.



Par contre, le film qui est en tiré n'a pas vraiment convaincu; qui se souvient encore de l'horrible titre: "Bienvenue à Woop Woop"

4ème de couverture:

Quand un voyage au paradis des grands espaces australiens vire au cauchemar le plus total. Un bijou d'humour noir et de suspense pour le premier roman de Douglas Kennedy, un ouvrage devenu culte et réédité aujourd'hui par Belfond dans une toute nouvelle traduction. Fasciné par une carte de l'Australie, Nick, un journaliste américain, décide de tout plaquer pour atterrir à Darwin. Une nuit fatale, un accident avec un kangourou et sa rencontre avec la jeune et robuste Angie vont le mener au cœur du bush, au milieu de nulle part, au sein d'un clan d'allumés coupés du monde. Pris au piège, Nick va devoir user de tous les moyens possibles pour échapper à ceux qui l'ont adopté à son corps très défendant. En jeu : sa survie, tant physique que mentale...

Nouvelle Traduction Du Roman Paru Sous Le Titre Cul De Sac.



Belfond - 2008 - 265 pages - ISBN 9782714445025

jeudi 25 juillet 2013

Ici on écrit aussi...

Le Phare (Version 2013)


Mon père doit monter et descendre ces escaliers au moins quinze à vingt fois par jour. C'est son domaine, son antre, sa retraite. C’est devenu son phare. Loin de tout, ignoré de tous ou presque. Il y passe des heures à regarder la mer, les vagues, les bateaux qui passent. Il lit aussi, beaucoup, de tout. Sa seule sortie de la semaine, c'est vers l'épicerie pour le ravitaillement. C'est Juliette, la jolie rousse, qui s'occupe de sa commande: du pain, du poisson, des légumes locaux, des fruits et un magazine, un seul, juste pour s'assurer que le monde tourne encore, même s'il ne s'en soucie guère.

Quand maman est morte, d'une longue maladie, dit-on pudiquement, il s'est enfui. Trois jours durant, sans un mot, sans aucune explication. Il n'est revenu que pour l'enterrement. Je lui en ai longtemps voulu. Maintenant je comprends. Tant d'années à soutenir l’insoutenable à côté de celle qu'on aime; la voir dépérir jour après jour, perdre kilos après kilos, ne quasiment plus la reconnaître pour finalement ne plus être reconnu par son épouse, abattue, détruite par la morphine. Et ne rien dire, tout emmagasiner, simplement souffrir intérieurement. Et puis, ce jour-là, le jour de la délivrance pour ma mère, enfin exploser. Expulser toute sa douleur, à s'en faire vomir. Et disparaître...

Pendant ces trois jours de fuite, il a réfléchi m'a t’il dit. Quel serait sa vie après, comment se passerait son retour à la maison ? Serait-il capable de dormir dans ce grand lit où il a partagé tant de moments intimes, tant de plaisirs partagés? Serait-il prêt à affronter ses collègues et leurs blagues de potaches, ces jeunes carriéristes qui ne pensent qu'à prendre sa place ? Non, il n'en avait plus le courage, ni l'envie, ni la force. Il a alors repensé à nos dernières vacances ensemble, sur la côte landaise, loin de l’agitation du monde extérieur. Maman était déjà malade mais elle souriait encore, croyait que ça passerait avec le temps. Elle avait besoin de repos, de l'air du large chargé d'iode nous expliquait-elle. J'étais jeune, je n'avais pas compris que je devais très vite profiter des ultimes sourires de ma mère, qu'ils allaient bientôt faire place aux crispations et grimaces de la chimio, aux souffrances journalières. Je regrette aujourd'hui ces instants, ces moments perdus et les larmes me viennent à chaque fois que je revois les photos de cette année-là.

Mon père, aussi, a regardé ces photos quand il a laissé maman à la morgue de l'hôpital. Il n'en pouvait plus, et pris de panique, il a pris sa voiture et a foncé vers les landes, seul, me laissant à ma tristesse, mon chagrin, sachant que nous ne ferions qu'empirer en restant ensemble à se souvenir d'elle. Trois heures de route sans halte, sans réfléchir, juste rouler, vite, très vite. Simplement suivre ce long ruban de bitume vers un peu de calme, une certaine liberté.

Arrivé sur la plage, il a respiré cet air si fort, si empreint de nostalgie et il a craqué, vidé son corps de toutes ces horreurs, de toutes ses douleurs. Il a marché aussi, des heures durant, les pieds dans l'eau glacée. Pour s'anesthésier l'esprit, pour oublier l'inoubliable. Quand il a revu le phare, majestueux, solidement accroché à la terre et affrontant inutilement les marées, il a compris. Un jour, le phare en aura assez de ces vagues déferlantes et abandonnera, se laissera tomber, brique par brique et s'effondrera. Il n'en restera que des photos, des souvenirs, de l'illusoire en somme.

Aujourd'hui, mon père est le gardien de ce phare, gardien de la mémoire de ma mère aussi. Il sait qu'il partira bien avant que le phare n'abdique devant les eaux de l'océan, mais il tient bon. Il vit au jour le jour sans se poser de questions. Sa vision du monde a changé, plus rien ne compte aujourd'hui à part nous. Il a de nouveau cette joie de vivre et, moi, j'ai retrouvé, sur son visage, un sourire, une certaine assurance dans la vie. C'est le plus beau cadeau qu'il peut nous faire, à moi et à maman. Pour ça, je te dis tout simplement merci.

jeudi 18 juillet 2013

La Liste de mes Envies

Grégoire Delacourt (France)

Ma lecture:

Il est clairement évident que ma chronique ne sera absolument pas objective mais le cœur a ses raisons que la raison…; c’est aussi cela qui m’oriente pour l’instant vers ce genre de romans qui navigue entre romance et drame… Ma lecture en cours : « Quand souffle le vent du Nord » de Daniel Glattauer. Les connaisseurs comprendront :)

Ceci dit « La liste de mes envies » est pour moi un vrai coup de cœur ; une écriture fine pleine d’ironie, avec Jocelyne qui s’aime malgré ces rondeurs, ces défauts, avec Jo devenu cruel, brutal… Des personnages extrêmement bien construits, des émotions douces amères aussi. Les passages où Jocelyne s’occupe de son père par paquets de 6 minutes sont des grands moments emplis d’humanité et de désespoir.

Il est clair que leurs vies respectives ne sont pas roses mais ils ne sont pas non plus les plus malheureux ; ils sont plutôt proches de nous et cela renforce encore plus l’attachement du lecteur.

C’est aussi une belle réflexion sur les relations, sur le bonheur et le partage.

Refaire le coup de « L’argent ne fait pas le bonheur » est un peu simpliste mais il faut lire entre les lignes et se rendre compte des peurs qui se cachent derrière les indécisions, les non-dits. Jocelyne ne sait pas où son couple va mais elle sait ce qu’elle ne veut plus. Elle est surtout très lucide sur les principaux événements de son existence et sur le probable impact de ce gain inespéré.

Un livre coup de cœur que je relirais sans aucun doute et que je conseillerais volontiers.

Le début:

« On se ment toujours.

Je sais bien, par exemple, que je ne suis pas jolie. Je n’ai pas des yeux bleus dans lesquels les hommes se contemplent ; dans lesquels ils ont envie de se noyer pour qu’on plonge les sauver. Je n’ai pas la taille mannequin ; je suis du genre pulpeuse, enrobée même. Du genre qui occupe une place et demie. J’ai un corps dont les bras d’un homme de taille moyenne ne peuvent pas tout à fait faire le tour. Je n’ai pas la grâce de celles à qui l’on murmure de longues phrases, avec des soupirs en guise de ponctuation ; non. J’appelle plutôt la phrase courte. La formule brutale. L’os du désir, sans la couenne ; sans le gras confortable.

Je sais tout ça. »

Quatrième de couverture:

Jocelyne, dite Jo, rêvait d’être styliste à Paris. Elle est mercière à Arras. Elle aime les jolies silhouettes mais n’a pas tout à fait la taille mannequin. Elle aime les livres et écrit un blog de dentellières. Sa mère lui manque et toutes les six minutes son père, malade, oublie sa vie. Elle attendait le prince charmant et c’est Jocelyn, dit Jo, qui s’est présenté. Ils ont eu deux enfants, perdu un ange, et ce deuil a déréglé les choses entre eux. Jo (le mari) est devenu cruel et Jo (l’épouse) a courbé l’échine. Elle est restée. Son amour et sa patience ont eu raison de la méchanceté. Jusqu’au jour où, grâce aux voisines, les jolies jumelles de Coiff’Esthétique, 18.547.301€ lui tombent dessus. Ce jour-là, elle gagne beaucoup. Peut-être.




Editions JC Lattès (Contemporaine) (2013) -  192 pages