vendredi 12 octobre 2012

La vie devant soi

Romain Gary / Émile Ajar (France)

 


Ma lecture:

Un roman incontournable de la littérature française, ce livre a reçu le Prix Goncourt en 1975. Prix attribué à Émile Ajar, pseudonyme sous lequel se cachait Romain Gary, déjà récompensé en 1965 pour les Racines du ciel. Cette double identité n'a été mise à jour qu'en 1980, à la mort de Romain Gary.

La vie devant soi raconte l'histoire (d'amour) de Momo, jeune "fils de pute" d'une dizaine d'années, musulman et de Madame Rosa, juive, ex-prostituée, s'occupant d'une pension à la limite de la légalité pour ces enfants nés de relations payantes...

Momo a son propre langage, lié à son éducation minimale. Il faut entrer dans ce langage, non pas ardu mais bourré de mots inventés dont il faut deviner le sens mais une fois passé ce premier écueil, on se prend d'amitié pour ce jeune garçon plein de ressources.

Madame Rosa est un roman à elle seule. Elle vit seule, en haut de l'immeuble où elle peine à faire monter ses kilos superflus. Il y a des passages épiques où on la transbahute de haut en bas et de bas en haut à la force des bras...

Mais ces deux personnages succulents ne doivent pas cacher les thèmes abordés ici:
  • Le racisme ou plutôt à l'inverse la tolérance vis à vis de nos différences (races, couleurs, opinions, milieu social...). Le mélange des communautés est très important dans ce roman mais Momo découvrira que ce mélange est très loin d'être la norme.
  • L'identité des enfants et le besoin de connaître ses racines, ses origines pour arriver à se construire.
  • La vieillesse, le droit de disposer de soi, de mourir dans la dignité...
  • L'amitié inter-générationelle; il y a une réelle complicité entre ses deux âmes un peu perdues dans la vie.
La vie devant soi a peut-être un peu vieilli face à la littérature jeunesse actuelle où tout est plus direct, plus violent, sans compromis, mais Romain Gary arrive à nous toucher, à nous transmettre des valeurs importantes comme la tolérance, l'amitié tout en finesse dans une langue incomparable.

N'hésitez pas à plonger dans cette histoire mais cela vous demandera un peu d'effort pour entrer dans le franc-parler de Momo, et un peu de maturité pour la thématique abordée.

Le début:

La première chose que je peux vous dire c'est qu'on habitait au sixième à pied et que pour Madame Rosa, avec tous ces kilos qu'elle portait sur elle et seulement deux jambes, c'était une vraie source de vie quotidienne, avec tous les soucis et les peines. Elle nous le rappelait chaque fois qu'elle ne se plaignait pas d'autre part, car elle était également juive. Sa santé n'était pas bonne non plus et je peux vous dire aussi dès le début que c'était une femme qui aurait mérité un ascenseur.

Je devais avoir trois ans quand j'ai vu Madame Rosa pour la première fois. Avant, on n'a pas de mémoire et on vit dans l'ignorance. J'ai cessé d'ignorer à l'âge de trois ou quatre ans et parfois ça me manque.

Il y avait beaucoup d'autres Juifs, Arabes et Noirs à Belleville, mais Madame Rosa était obligée de grimper les six étages seule. Elle disait qu'un jour elle allait mourir dans l'escalier, et tous les mômes se mettaient à pleurer parce que c'est ce qu'on fait toujours quand quelqu'un meurt. On était tantôt six ou sept tantôt même plus là-dedans.


 La quatrième de couverture:

"Madame Rosa, une vieille juive qui a connu Auschwitz et qui, autrefois, se défendait (selon le terme utilisé par Momo pour signifier prostitution) rue Blondel à Paris, a ouvert « une pension sans famille pour les gosses qui sont nés de travers », autrement dit une pension clandestine où les dames qui se défendent abandonnent plus ou moins leurs rejetons. Momo, jeune Arabe d'une dizaine d’années, raconte sa vie chez Madame Rosa et son amour pour la seule maman qui lui reste, cette ancienne respectueuse, grosse, laide et qu'il aime de tout son cœur. Le jeune homme accompagnera la vieille femme dans ses derniers jours".

Éditions Folio (2003) - 274 pages