vendredi 29 juin 2012

Mort à crédit

Louis-Ferdinand Céline (France)


Lu dans le cadre du Livra' deux pour PAL addict organisé par Galleane.


Fleurdusoleil m'ayant sélectionné 3 titres, j'ai finalement choisi "Mort à crédit" de Louis-Ferdinand Céline.



Ma lecture:

Bon, il est évident que pour cette chronique, je ne serais pas du tout objectif. Je suis fan de Louis-Ferdinand Céline et j’assume totalement. Je ne parlerais pas ici du personnage sujet à controverse mais de ses écrits et tout particulièrement de « Mort à crédit » publié aux éditions Gallimard/Futuropolis avec les illustrations sublissimes de Tardi.

D’abord, il faut s’habituer à l’écriture tellement différente de celle rencontrée aujourd’hui. Céline écrit comme il parle, ou plutôt comme il pense. Des phrases très courtes séparées entre elles par des points de suspension comme on passe d’une idée à une autre sans attendre, sans presque respirer. Il faut lire Céline ou non, il faut le lire mais à voix haute. Ou alors écoutez-le…


« A l’atelier, en arrivant, je les ai bien regardés tous les trois… Ils avaient pas l’air de se douter… ni la garce… ni Antoine… ni le môme !... Quand je leur ai annoncé ça qu’il était perdu le bijou… Ils m’ont regardé ébahis !... Ils tombaient des nues… »

L’histoire de « Mort à crédit » peut se résumer en trois parties :



  • L’enfance de Bardamu (le double de Céline, bien qu’il s’agit essentiellement d’une fiction). Ses parents sont des modestes commerçants petit-bourgeois qui survivent de crédit en crédit ; ce qui donnera le titre au roman. La mère est handicapée mais toujours prête à aider son fils et voudrait pour lui un avenir plus rose. Le père, simple employé de bureau est beaucoup moins tendre avec son rejeton, l’enjoignant au plus vite d’entrer dans la vraie vie celle du travail. Le travail du père, lui, ressemble fort à celui d’aujourd’hui avec ses querelles intestines, l’ambition, les restructurations…

    Cette première partie est dure, noire, on y ressent l’ambiance de la Belle Epoque (qui n’est « belle » que par son nom), savoureux contraste entre les avancées technologiques (L’exposition universelle de 1900 y est superbement décrite), les inventions multiples (on en reparlera plus tard), la montée artistique et d’un autre côté, les différences sociales où la fracture entre bourgeoisie dominante et monde ouvrier est importante. Cette montée technologique sonnera, on le constatera ici, le début de la fin du petit commerce tel que pratiqué par la mère de Bardamu.
  • L’exil en Angleterre au collège à Rochester est décidé par le père de Bardamu suite aux nombreux échecs, déboires et débauches de Bardamu. L’oncle Edouard joue déjà ici le rôle de père de substitution, le seul qui croira à l’avenir de Ferdinand.

    Ah l’Angleterre ! Bardamu y est pour y apprendre la langue, indispensable sésame au commerce auquel son père voue. Ce sera, vous le pensez bien, un énorme échec. Ferdinand n’ouvrira pas la bouche, n’apprendra finalement que quelques mots. Par contre, il goûtera aux plaisirs de la chair (pas la bonne chère par contre) et de la boisson. Jusqu’à la fin du collège, contraint de fermer ruiné face aux promoteurs d‘un autre établissement concurrent et flambant neuf. Notre héros rentrera finalement chez lui retrouver sa misère et ses parents déconfits.
  • Retour qui ne sera pas long. Après une très violente dispute avec son père qu’il arrive presqu’à tuer, l’oncle Edouard, de nouveau en bon samaritain, lui trouve un job chez le fantastique Courtial des Pereires, génial inventeur, aérostier, visionnaire.

    Cette troisième partie est plus savoureuse, plus drôle (même si il s’agit d’un humour ironique), plus calme aussi dans l’écriture.  Mais de nouveau, très vite, l’argent (qui manque encore et toujours) sera le maître du jeu, forçant Bardamu à magouiller tant et plus. L’épisode sur la nouvelle agriculture assistée (on est en pleine révolution technologique) est dramatique aussi bien au niveau des cultures (le champ de pommes de terre cultivée au milieu de courants électriques…), que des protagonistes.


Finalement Ferdinand retrouvera l’oncle Edouard, le sauveur qui malgré tout se force à croire en lui, en son avenir. Mais pour faire quoi ? Finira-t-il au régiment comme le souhaite Bardamu, comme son propre père le suggérait dès les premières déconvenues… Allez savoir… Ou plutôt lisez « Le voyage au bout de la nuit », le chef-d’œuvre de Louis-Ferdinand Céline.

Le début :

« Nous voici encore seuls. Tout cela est si lent, si lourd, si triste… Bientôt je serais vieux. Et ce sera enfin fini. Il est venu tant de monde dans ma chambre. Ils ont dit des choses. Ils ne m’ont pas dit grand-chose. Ils sont partis. Ils sont devenus vieux, misérables et lents chacun dans un coin du monde.

Hier à huit heures Madame Bérenge, la concierge, est morte. Une grande tempête s’élève de la nuit. Tout en haut, où nous sommes, la maison tremble. C’était une douce et fidèle amie. Demain on l’enterre rue des Saules. Elle était vraiment très vieille, tout au bout de la vieillesse. Je lui ai dit dès le premier jour quand elle a toussé : « Ne vous allongez pas surtout !... Restez assise dans votre lit ! » Je me méfiais. Et puis voilà… Et puis tant pis. »

Quatrième de couverture:

Mort à crédit c'est l'histoire d'un gamin solitaire, dans le Paris d'avant la Grande Guerre, élevés par des petit-bourgeois qui n'étaient ni riches ni intelligentsni ouverts au monde en marche, et qui se gonflaient pour paraître, pour avoir l'air de, pour ressembler aux riches qu'ils révéraient.

Ce petit monde a été décrit par Céline avec une férocité, une truculence et un humour incomparables, qui sont des constantes de toute son oeuvre.

On y trouvera la démonstration du fait qu'il était incapable de dissocier la représentation de la vacherie des hommes du besoin qu'il avait d'en rire, passant tout naturellement de l'horreur au grotesque de cette manière si française, dénoncée par Beaumarchais, de prendre au sérieux les choses futiles et les vraies tragédies le plus comiquement possible.

On y trouvera aussi l'ineffable portrait de Raoul Marquis, dit Henri de Graffigny, ingénieur, aérostier, inventeur, écrivain prolixe, faux marquis et vrai mythomane, dont Céline a fait le très rocambolesque Courtial des Pereires.

Chacun connaît le talent et la manière de Tardi, son trait si particulier et la façon dont il a déjà rendu l'atmosphère tragi-comique de Voyage au bout de la nuit et de Casse-Pipe. Il était l'homme qu'il fallait pour illustrer ce livre dans lequel Céline, à force d'outrances, a donné de la société française de son temps une image plus vraie que nature, dans ce langage vivant; moderne et vert, qui a fait scandale, mais qui vaut à Mort à crédit, bientôt sexagénaire, de n'avoir pas pris une ride et de demeurer l'un des grands romans français du XXème siècle. - François Gibault.

Editions Futuropolis / Gallimard ( 1991) - 426 pages


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jeudi 28 juin 2012

Matin Brun

Franck Pavloff (France)


Ma lecture:

Deux hommes d’un certain âge discutent comme deux amis autour d’un verre. Pour eux, la vie est sans soucis, entre belote et pastis. Jusqu’au jour où…

L’Etat décide d’interdire tous les chiens qui ne sont pas bruns alors que c’était déjà le cas pour les chats !
Et donc Charlie et son ami décident d’obéir à cette nouvelle loi et font piquer leur animal et reprennent un nouveau chien, brun évidemment. Cela leur a fait un peu de peine mais puisque l’Etat le demande, il doit bien y avoir une bonne raison… et cette bonne raison est basée sur des données scientifiques.

Ensuite c’est l’escalade, certains journaux se rebellent et ne sont plus autorisés que « Les Nouvelles Brunes » ; les traques vont commencer. On verra aussi les miliciens dans les rues.

Je vous laisse découvrir la fin de l’histoire par vous-même…

En une petite dizaine de pages, Franck Pavloff nous dévoile une vision très engagée contre l’extrémisme politique, une critique acerbe contre la dictature. On ne peut s’empêcher de penser au nazisme et à ses beaucoup trop célèbres chemises brunes mais il faut voir beaucoup plus loin et élargir cette critique à toute dérive totalitaire. Où comment une absurdité totale peut dériver vers la folie humaine mais aussi comment l'être humain est prêt à toute lacheté pour rester dans le moule, pour préserver ses acquis quitte à y perdre sa dignité...

Cette nouvelle est à mettre en parallèle avec d’autres romans, récits similaires :
  • La ferme des animaux de George Orwell où les dictateurs sont des cochons
  • Maus de Art Spiegelman où les souris sont les juifs, les chats les nazis
  • Inconnu à cette adresse de Kathrine Kressman Taylor pour la même critique d’un régime totalitaire
« Matin Brun » est à mettre entre toutes les mains, même les plus jeunes pour que ce passé pas si lointain (voire même encore trop présent) ne resurgisse plus jamais.

Le début :

"Les jambes allongées au soleil, on parlait pas vraiment avec Charlie. On échangeait des pensées qui nous courraient dans la tête sans bien faire attention à ce que l’autre racontait de son côté. Des moments agréables, on laissait filler le temps en sirotant un café."

Quatrième de couverture:

Charlie et son copain vivent une époque trouble, celle de la montée d'un régime politique extrême : l'Etat Brun.
Dans la vie, ils vont d'une façon bien ordinaire : entre bière et belote.
Ni des héros, ni de purs salauds.
Simplement, pour éviter les ennuis, ils détournent les yeux.
Sait-on assez où risquent de nous mener collectivement les petites lâchetés de chacun d'entre nous ?
 
Editions Cheyne (2004) - 12 pages - Lu par Jacques Bonnaffé & Denis Podalydès



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Bilan 6 mois 2012

Et nous voilà à la moitié de 2012! Le moment propice pour un premier bilan.

Certains en font tous les mois, mais je ne lis pas suffisamment pour en arriver là.

Voici donc en primeur mon Top 5


Hors-concours

Mort à crédit de Louis-Ferdinand Céline



Là, je ne suis plus du tout objectif; j'adore Céline, son style, sa férocité, sa verve inégalable. Et quand on y ajoute le dessin sublime de Tardi, il n'y a plus de concurrent à la hauteur.


Bon, reprenons notre "vrai" classement...

A la cinquième place...

Le Passeur de Loïs Lowry





Roman Jeunesse très touchant par les thèmes abordés: la liberté, la souffrance, la mémoire...


A la quatrième place...

Purge de Sofi Oksanen





Dur, pas simple à lire mais d'une humanité absolument déconcertante.


A la troisième place

Inconnu à cette adresse de Kathrine Kressman Taylor




Très court récit épistolaire bouleversant. Visionnaire aussi!


A la deuxième place

Le vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire de Jonas Jonasson




Tout simplement jouissif... ou la cavale d'un Forrest Gump finlandais et centenaire

Et le grand gagnant est...

A la première place

Rosa Candida d' Audur Ava Ólafsdóttir




Roman initiatique empli de poésie autour d'une paternité à accepter...



J'ai aussi connu quelques (petites) déceptions au cours de ces 6 premiers mois:

  • Tout est sous contrôle de Hugh Laurie
  • Amkoulell, l'enfant peul de Amadou Hampâté Bâ
  • La nostalgie de l'ange d' Alice Sebold

Mais dans l'ensemble le bilan est très bon:

26 romans lus avec une côte moyenne de 8,3 sur 10 pour un total d'un peu plus de 8000 pages...

Et vous?


mercredi 27 juin 2012

Juste avant l'hiver

Françoise Henry (France)


Ma lecture:

Toutes les caractéristiques du vaudeville sont en place dans ce court roman : 
  •  Un huis-clos : l’action se déroule quasi essentiellement dans un café situé à Prague
  • Une héroïne : jeune et jolie serveuse dans ce café, un peu naïve. Anna est Slovaque à Prague. Nous sommes en 1968 au temps où la Tchécoslovaquie ne faisait qu’un.
  • Trois prétendants : Pavel, le bel étudiant blond ; Heinrich, le pianiste, libre de voyager  même à l’Ouest ; Thomas, chef des serveuses, amoureux transi, plutôt laid.
Cela pourrait ressembler à un vaudeville mais « Juste avant l’hiver » n’en est pas un.

Il y a l’endroit, le moment : Prague, ville grise, froide (en tous cas c’est de cette façon que Françoise Henry ou plutôt la narratrice la décrit), le communisme, l’entrée des chars soviétiques, les restrictions, les persécutions…



Il y a l’absence de liberté : liberté d’aimer, liberté de voyager, liberté d’écrire. Certes, les serveuses sont libres d’aimer qui elles veulent en dehors de leur travail mais elles seront quand même surveillées, traquées. Pas de voyages possibles sans papiers en ordre, sans autorisation ; à l’exception du pianiste, pour l’image de marque du pays à l’étranger. Liberté d’écrire avec le petit mot confié à Thomas à Anna qu’il gardera secrètement caché sur lui et que personne d’autre ne lira même pas Pavel…

Il y a aussi ce faux huis-clos qui est mis en place au travers de la narratrice ; tout est écrit comme un long monologue. La patronne du café est acariâtre, jalouse d’Anna, antipathique au possible mais c’est elle qui nous raconte ce drame. Le ton est méchant, destructeur, plein de rancœur au début du roman mais change peu à peu pour se teinter d’une extrême jalousie; on sent la femme meurtrie, blessée par un échec, une frustration  ou une désillusion amoureuse qui se voit en Anna comme dans un miroir.

La narration, elle-même, sortant de la bouche de le patronne d’Anna est une des grandes forces de ce roman. L’utilisation du « vous » pour désigner Anna est très intelligente : il y a une certaine distance entre les deux protagonistes, un lien hiérarchique évident mais ce « vous » nous force à réagir, à se mettre dans la peau d’Anna. Le « vous » c’est « nous » en fait.

Ce petit roman (à peine 150 pages) est un véritable exploit. Comment nous faire aimer ce récit dramatique à travers une narratrice aussi antipathique, une seule et unique voix, une seule version de l’histoire sans engendrer de sentiment de lassitude, voire de dégout. Ce pari audacieux est tenu et c’est une très belle réussite. Je relirais bien quelques Milan Kundera pour garder cette belle ville de Prague en mémoire...

Le début:

"Je vous ai toujours observée, Anna. Comme j’ai toujours observé mes serveuses. D’abord parce qu’elles sont jeunes et jolies (plus ou moins). Tout ce que je ne suis plus (ou n’ai jamais été). Évidemment, nous sommes obligés de les garder comme telles. C’est pour ça qu’elles ne durent pas. Nous n'avons pas le droit de les licencier, mais nous les envoyons ailleurs..."


Quatrième de couverture:

Prague, 1969. Dans un café, la patronne, acariâtre et jalouse, épie sa jeune serveuse. Elle assiste en voyeuse à l'éclosion et au massacre d'un amour, qui lui rappelle une blessure de jeunesse. A travers une poignée de personnages, immergés dans un angoissant huis clos, c'est tout le cauchemar d'un régime politique qui nous est restitué.
 
Lu dans le cadre du "Défi Cent Pages"



Editions Le Livre de Poche (2011) - 140 pages



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