Louis-Ferdinand Céline (France)
Lu dans le cadre du Livra' deux pour PAL addict organisé par Galleane.
Fleurdusoleil m'ayant sélectionné 3 titres, j'ai finalement choisi "Mort à crédit" de Louis-Ferdinand Céline.
Bon, il est évident que pour cette chronique, je ne serais
pas du tout objectif. Je suis fan de Louis-Ferdinand Céline et j’assume
totalement. Je ne parlerais pas ici du personnage sujet à controverse mais de
ses écrits et tout particulièrement de « Mort à crédit » publié aux
éditions Gallimard/Futuropolis avec les illustrations sublissimes de Tardi.
D’abord, il faut s’habituer à l’écriture tellement
différente de celle rencontrée aujourd’hui. Céline écrit comme il parle, ou
plutôt comme il pense. Des phrases très courtes séparées entre elles par des
points de suspension comme on passe d’une idée à une autre sans attendre, sans
presque respirer. Il faut lire Céline ou non, il faut le lire mais à voix
haute. Ou alors écoutez-le…
« A l’atelier, en arrivant, je les ai bien regardés tous les trois… Ils avaient pas l’air de se douter… ni la garce… ni Antoine… ni le môme !... Quand je leur ai annoncé ça qu’il était perdu le bijou… Ils m’ont regardé ébahis !... Ils tombaient des nues… »
L’histoire de « Mort à crédit » peut se résumer en
trois parties :
- L’enfance de Bardamu (le double de Céline, bien qu’il s’agit
essentiellement d’une fiction). Ses parents sont des modestes commerçants petit-bourgeois
qui survivent de crédit en crédit ; ce qui donnera le titre au roman. La
mère est handicapée mais toujours prête à aider son fils et voudrait pour lui
un avenir plus rose. Le père, simple employé de bureau est beaucoup moins
tendre avec son rejeton, l’enjoignant au plus vite d’entrer dans la vraie vie
celle du travail. Le travail du père, lui, ressemble fort à celui d’aujourd’hui
avec ses querelles intestines, l’ambition, les restructurations…
Cette première partie est dure, noire, on y ressent l’ambiance de la Belle Epoque (qui n’est « belle » que par son nom), savoureux contraste entre les avancées technologiques (L’exposition universelle de 1900 y est superbement décrite), les inventions multiples (on en reparlera plus tard), la montée artistique et d’un autre côté, les différences sociales où la fracture entre bourgeoisie dominante et monde ouvrier est importante. Cette montée technologique sonnera, on le constatera ici, le début de la fin du petit commerce tel que pratiqué par la mère de Bardamu.
- L’exil en Angleterre au collège à Rochester est décidé par
le père de Bardamu suite aux nombreux échecs, déboires et débauches de Bardamu.
L’oncle Edouard joue déjà ici le rôle de père de substitution, le seul qui
croira à l’avenir de Ferdinand.
Ah l’Angleterre ! Bardamu y est pour y apprendre la langue, indispensable sésame au commerce auquel son père voue. Ce sera, vous le pensez bien, un énorme échec. Ferdinand n’ouvrira pas la bouche, n’apprendra finalement que quelques mots. Par contre, il goûtera aux plaisirs de la chair (pas la bonne chère par contre) et de la boisson. Jusqu’à la fin du collège, contraint de fermer ruiné face aux promoteurs d‘un autre établissement concurrent et flambant neuf. Notre héros rentrera finalement chez lui retrouver sa misère et ses parents déconfits.
- Retour qui ne sera pas long. Après une très violente dispute
avec son père qu’il arrive presqu’à tuer, l’oncle Edouard, de nouveau en bon
samaritain, lui trouve un job chez le fantastique Courtial des Pereires, génial
inventeur, aérostier, visionnaire.
Cette troisième partie est plus savoureuse, plus drôle (même si il s’agit d’un humour ironique), plus calme aussi dans l’écriture. Mais de nouveau, très vite, l’argent (qui manque encore et toujours) sera le maître du jeu, forçant Bardamu à magouiller tant et plus. L’épisode sur la nouvelle agriculture assistée (on est en pleine révolution technologique) est dramatique aussi bien au niveau des cultures (le champ de pommes de terre cultivée au milieu de courants électriques…), que des protagonistes.
Finalement Ferdinand retrouvera l’oncle Edouard, le sauveur
qui malgré tout se force à croire en lui, en son avenir. Mais pour faire quoi ?
Finira-t-il au régiment comme le souhaite Bardamu, comme son propre père le
suggérait dès les premières déconvenues… Allez savoir… Ou plutôt lisez « Le
voyage au bout de la nuit », le chef-d’œuvre de Louis-Ferdinand Céline.
Le début :
« Nous voici encore seuls. Tout cela est si lent, si
lourd, si triste… Bientôt je serais vieux. Et ce sera enfin fini. Il est venu
tant de monde dans ma chambre. Ils ont dit des choses. Ils ne m’ont pas dit grand-chose.
Ils sont partis. Ils sont devenus vieux, misérables et lents chacun dans un
coin du monde.
Hier à huit heures Madame Bérenge, la concierge, est morte.
Une grande tempête s’élève de la nuit. Tout en haut, où nous sommes, la maison
tremble. C’était une douce et fidèle amie. Demain on l’enterre rue des Saules.
Elle était vraiment très vieille, tout au bout de la vieillesse. Je lui ai dit
dès le premier jour quand elle a toussé : « Ne vous allongez pas
surtout !... Restez assise dans votre lit ! » Je me méfiais. Et
puis voilà… Et puis tant pis. »
Quatrième de couverture:
Mort à crédit c'est l'histoire d'un gamin solitaire, dans le Paris d'avant la Grande Guerre, élevés par des petit-bourgeois qui n'étaient ni riches ni intelligentsni ouverts au monde en marche, et qui se gonflaient pour paraître, pour avoir l'air de, pour ressembler aux riches qu'ils révéraient.
Ce petit monde a été décrit par Céline avec une férocité, une truculence et un humour incomparables, qui sont des constantes de toute son oeuvre.
On y trouvera la démonstration du fait qu'il était incapable de dissocier la représentation de la vacherie des hommes du besoin qu'il avait d'en rire, passant tout naturellement de l'horreur au grotesque de cette manière si française, dénoncée par Beaumarchais, de prendre au sérieux les choses futiles et les vraies tragédies le plus comiquement possible.
On y trouvera aussi l'ineffable portrait de Raoul Marquis, dit Henri de Graffigny, ingénieur, aérostier, inventeur, écrivain prolixe, faux marquis et vrai mythomane, dont Céline a fait le très rocambolesque Courtial des Pereires.
Chacun connaît le talent et la manière de Tardi, son trait si particulier et la façon dont il a déjà rendu l'atmosphère tragi-comique de Voyage au bout de la nuit et de Casse-Pipe. Il était l'homme qu'il fallait pour illustrer ce livre dans lequel Céline, à force d'outrances, a donné de la société française de son temps une image plus vraie que nature, dans ce langage vivant; moderne et vert, qui a fait scandale, mais qui vaut à Mort à crédit, bientôt sexagénaire, de n'avoir pas pris une ride et de demeurer l'un des grands romans français du XXème siècle. - François Gibault.
Editions Futuropolis / Gallimard ( 1991) - 426 pages
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RépondreSupprimerTon enthousiasme me ravit. Ce fut mon premier Céline. Son écriture m'a transportée, mais j'ai eu un peu plus de mal avec l'histoire elle même. J'avoue que j'ai ramé sur la longueur. Tu es plus au fait de cet auteur, quel autre ouvrage de lui me conseillerais-tu ?
RépondreSupprimerBon dimanche.
Si tu veux poursuivre avec Céline, il faut absolument lire "Le voyage au bout de la nuit" qui est son chef-d'oeuvre. Le style est semblable à Mort à crédit mais l'histoire est peut-être un peu plus sombre entre médecine des pauvres et première guerre mondiale.
SupprimerSinon, il y a aussi Nord, Cass-pipe, D"un chateau l'autre, Rigodon qu'il nous faudra découvrir...
Bref, encore beaucoup de belles lectures en perspective ;)
A bientôt
Tout à fait le "voyage au bout de la nuit" est une pépite! Je ne saurais lequel choisir entre le voyage et "Mort à crédit". Dans tous les cas le réalisme social et le style de Céline sont bouleversant! Très bon billet qui donne envie de lire et de relire un des grands génie littéraire du XX e siècle.
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