lundi 17 février 2014

Dîner de famille...




Julien sortit de chez lui en soupirant. Il était déjà dix-huit heures et il ne lui restait qu’une heure à peine pour se rendre chez ses parents à l’autre bout de la ville.

Il faisait froid, le vent se levait soudainement. Julien releva le col de sa veste, fourra ses mains dans les poches et se mit en route d’un pas décidé. Les branches des arbres étaient balayées par les bourrasques et il dut à plusieurs reprises zigzaguer pour éviter les flaques d’eau qui stagnaient encore sur le trottoir.

Il hésita un moment sur le chemin à prendre et finalement bifurqua vers le parc, plus tranquille que l’avenue bruyante et encombrée de voitures. La grande grille était entrouverte et il était hors de question de la pousser un peu plus au risque de se salir, voire de se blesser tant la rouille envahissait l’élégant travail du ferronnier local. Il y avait même du lierre qui commençait à coloniser la partie droite de l’ouvrage. Il se faufila donc à l’intérieur du parc et se mit à respirer un grand coup ; l’air frais était vivifiant et il en avait bien besoin avant de s’ennuyer au repas familial de ce soir.

Le parc était presque désert à cette heure-là ; seuls quelques canards mettaient un peu d’animation autour des deux étangs. Un joggeur arpentait les longues allées en regardant régulièrement son chronomètre d’un air satisfait ; son maillot jaune fluo volait au vent et ne semblait pas le ralentir dans sa course contre le temps. Julien le suivit du regard quelques minutes puis s’engouffra dans un sentier parallèle bordé d’ifs et de troènes. La sortie la plus proche se trouvait juste deux cent mètres devant lui. 

Il se retrouva à nouveau sur la grand-route et pris vers la droite en direction de la boulangerie. Il avait promis à sa mère de ramener le dessert et c’était à son grand dépit la seule boulangerie sur son trajet. Ce n’est pas que les desserts y soient mauvais ou trop chers mais la boutique était tenue par son ex-femme qu’il ne voyait que par obligation, pour discuter du devenir de leurs enfants ou de soucis financiers occasionnels. Par un coup de chance qu’il attribua à sa bonne étoile, la boulangerie était déjà fermée ; il regarda sa montre et vit qu’il était 18h30. Il se surprit à sourire devant ce coup de chance inattendu malgré la mauvaise humeur probable de sa mère quand elle verra qu’il arrivait les mains vides.

Il accéléra le pas et sur un coup de tête, prit à droite mu par une évidence incontrôlable. La ruelle était étroite, recouverte de pavés déformés par le temps. Le trottoir était juste assez large pour un seul marcheur et il fallait parfois être très adroit pour se faufiler entre les sacs poubelle déposés sans aucun égard pour d’éventuels promeneurs.
Julien essayait de se rappeler pourquoi il avait instinctivement obliqué par ce passage sinistre et d’un coup son visage s’illumina en voyant l’enseigne encore illuminée de la fleuriste. Non seulement la beauté de la vendeuse allait lui faire retrouver un peu d’allant mais il aurait finalement un cadeau pour sa mère.

Il n’y avait pas de clients dans la boutique, il allait pouvoir profiter à lui seul des parfums enivrants de l’endroit. La jolie Emmanuelle était derrière le comptoir en train de confectionner un énorme bouquet dans les tons orangés. On y voyait des marguerites, des tulipes et d’autres fleurs aux noms imprononçables. Sa dextérité était évidente, chaque coup de ciseau était donné sans hésitation, chaque fleur trouvait sa place sans que cela ait l’air de demander un effort surhumain.

Emmanuelle entendit la porte s’ouvrir, se retourna et salua Julien d’un bonjour très souriant. Celui-ci mit quelques secondes avant de lui rendre son bonjour, laissant même s’envoler la dernière syllabe. Il était à chaque fois subjugué par la demoiselle. Il se reprit malgré sa gêne persistante et demanda un bouquet de roses blanches pour sa mère. Il l’aurait bien offert à la fleuriste mais aurait-elle accepté? Il était si peu sur de lui que finalement il n’osa pas aller plus loin. Il paya et sortit rapidement de la boutique sans un regard pour Emmanuelle, juste un « bonne soirée » prononcé du bout des lèvres.
L’esprit rempli de regrets, il continua à arpenter les rues avoisinantes sans but. Il se demandait à quoi bon aller chez ses parents, qu’allait-il bien pouvoir leur raconter. 

Sa promenade aléatoire l’emmena chez un de ses meilleurs amis, propriétaire caviste. Il y trouva Fred sur le point de fermer sa boutique. A la vue de Julien, son air abattu, un bouquet de fleurs à la main, il le fit entrer et baissa le store de la devanture. Ils ne s’étaient plus vus depuis deux mois. 

Le comptoir était énorme, en bois massif, brillant sous les lumières tamisées. Il prenait toujours le même plaisir à caresser sensuellement cette énorme tablette, sentir de temps à autre un nœud venir perturber la finesse des fibres du bois. Tout le décor incitait à une dégustation sérieuse et plaisante. Fred déboucha une des ses habituelles trouvailles et ils trinquèrent à eux, aux vacances selon leur ancienne habitude de célibataires. Ils n’avaient pas grand-chose à se dire ; le simple fait d’être là ensemble, à déguster un bon vin leur suffisait. Le Corbières était parfait avec sa robe rubis, son nez délicat et sa bouche bien prononcée. Julien but un peu plus que de coutume et se sentit beaucoup mieux que ce matin. Il avait retrouvé suffisamment d’énergie et de bonne humeur pour affronter sa mère et surtout son père.

La bouteille achevée, il se remit en route, reprit son chemin habituel et arriva devant le grand portail noir. Il sonna et entra. Il était en retard.

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