lundi 17 février 2014

Les derniers mètres...




Son avion venait d'atterrir. Il était arrivé à Carcassonne, à plus de mille kilomètres de chez lui. Combien de mètres lui restait-il à parcourir avant d’enfin la voir ? A peine une centaine sans doute, juste quelques minutes pour un trajet qui lui paraissait interminable. Il n'en menait pas large, il n'avait vu d'elle que deux ou trois photos qu'elle lui avait envoyées. De quoi se faire une idée, de quoi mettre en route la machine à fantasme. Imaginer ce que pouvait être son visage à la lumière du jour. Y coller sa voix, sa voix… Celle qu’il entendait lorsqu’il l’appelait le midi. Une voix douce, chaude avec ce léger accent du sud, une voix où le sourire est tellement présent aussi.

Leurs échanges durent maintenant depuis un bon mois et il se demande qui a envisagé le premier de se voir. Est-ce lui ou elle? Qui a bien pu lancer l’idée, comme un défi peut-être ? Ou plus sûrement comme une évidence. Un « de toute façon, on se parle tous les jours ou presque alors pourquoi ne pas se voir ? », une simple évidence. 

Qui donc a eu cette idée ? Peu importe à présent, il est au rendez-vous le cœur battant et pas question de faire demi-tour, son vol de retour n’est que dans trois jours. « Haut les cœurs », se dit-il pour se donner un peu de courage. « Au pire, je ferai du tourisme. La région est jolie, il fait beau. Je suis loin d’être le seul touriste, il suffit de voir comme cet avion est bondé. »

L’ouverture des portes lui parait durer une éternité ; les hôtesses s’acharnent à calmer, à canaliser les voyageurs impatients de retrouver la terre ferme, leur famille, leurs amis. L’une d’elles lui fait un sourire comme pour le remercier de ne pas s’ajouter au nombre des perturbateurs. Il reste assis sur son siège, le regard posé sur le paysage lumineux de la région, les montagnes pyrénéennes à l’horizon, le ciel bleu incitant à une méditation bienvenue dans cet instant d’excitation intense.

Les passagers se mettent en branle, les sorties sont enfin libérées. Il attend que ses voisins prennent leurs bagages et qu’on le laisse passer poliment pour se mettre en route vers son destin. Il aide en passant une vieille dame à sortir son bagage de la soute, visiblement beaucoup trop haute pour elle. Le chaleureux merci fut noyé dans les récriminations des personnes attendant derrière lui. 

Dès la sortie de l’avion, l’air frais lui fait le plus grand bien, la chaleur du soleil également. Il remplit ses poumons et il se met à suivre le flot des passagers sur le bitume de l’aéroport, calmement. Son regard fixe la ligne jaune gravée au sol, laissant son esprit au repos, loin des questions qui se bousculent dans sa tête. Quelques mètres encore...

Il récupère son bagage sans se presser, pas la peine d'ajouter quelques battements de cœur supplémentaires et se dirige tout aussi lentement vers la sortie. L'aéroport ressemble à un bâtiment d'une république bananière en pleine guerre, en partie démoli, en partie en construction. Pas de long couloir vitré pour se deviner au loin. Non, il faut marcher le long de ce grand hangar, comme un dernier rempart avant de se jeter dans l’arène. Les pompiers attendent à côté de leur camion que tous les passagers s’en aillent. Les vacanciers se réjouissent du soleil prévu pour ce long week-end; une femme, son enfant sur un bras, tirant de l’autre une valise, dépasse tout le monde, pressée sans doute de rejoindre son compagnon. Un homme un peu âgé téléphone à sa fille pour savoir si elle l’attend bien, à quelques mètres de là. Et lui, il avance. Un pas après l’autre, sans se hâter, peut être même en ralentissant un peu.

Très vite, il l'aperçoit derrière les grilles et ce qu'il voit lui plut de suite; un très joli visage lumineux, des lunettes de soleil qui cachent sans doute de très jolis yeux, le même tee-shirt que sur une des photos, juste pour lui éviter de la chercher parmi la foule. Bon, cette foule doit être constituée au maximum de dix personnes, loin des sorties des grands aéroports internationaux mais ce détail le fait sourire : elle lui facilite la tâche.

L’a-t-elle vu elle aussi ? Sans doute puisqu’elle se déplace, se rapproche sensiblement de la dernière grille à passer. L’a-t-elle reconnu ? Après tout, elle non plus n’a pas vu grand-chose de lui. Des photos. Une vidéo. Presque rien. Juste de quoi ne pas lui faire peur la première fois. Et si malgré tout, elle a peur et fait demi-tour avant qu’il ne passe cette fichue grille ? Ils en ont plaisanté parfois « De toute façon, tu feras demi-tour en courant. » « Tu me rattraperas, je suis nulle en course »…  Ces derniers mètres lui semblent si longs, il a l’impression de ne pas marcher assez vite. Si elle part ? Si elle part ?

Il s'arrête juste devant elle; il lui sourit, lui dit bonjour; elle lui rend son sourire, son bonjour aussi. Une pause. Un instant suspendu. Et ils s'embrassent. Un simple baiser tout timide, un vrai premier baiser. Qui dit « Tu vois, je suis là, je suis venu. Tu vois, je suis là, je ne suis pas partie ». Un second baiser suit, toujours très timide. Il lui faudra un peu de temps pour apprivoiser son sentiment pour elle. Mais du temps, il en a. Trois jours pour commencer. Trois jours pour se reconnaître. Et tant de temps après.

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